jeudi 18 septembre 2014

LA  MARCHE A  PIED

Je n’ai pas besoin de choisir des chemins tout faits,
Des routes commodes, je passe partout où un homme peut voir…


Je ne conçoit  qu’une manière de voyager plus agréable que d’aller à cheval :
C’est  d’aller  à pied.
On part à son moment, on s’arrête à sa volonté, on fait tant et si peu d’exercice qu’on veut.
On observe tout le pays, on se détourne à droite, à gauche, on examine tout ce qui nous flatte, on s’arrête à tous
Les points de vue. Aperçois-je une rivière, je la côtoie un bois touffu, je vais sous son ombre, une grotte, je la visite, une carrière , J’examine les minéraux.
Partout ou je me plais, j’y reste. A l’instant que je m’ennuie, je m’en vais. Je ne dépends ni des chevaux ni du
Postillon. Je n’ai pas besoin de choisir des chemins tous faits, des routes commodes, je passe partout ou un homme peut voir et, ne dépendant que de moi-même, je jouis de toute la liberté dont un homme peut jouir.
Si le mauvais temps m’arrête et que l’ennui me gagne, alors je prends les chevaux si je suis las…mais je ne suis jamais las.
Voyager à pied, c’est voyager comme thales, platon et pythagore . J’ai peine à comprendre comment un philosophe peut se résoudre à voyager autrement et s’arracher à l’examen des richesses qu’il foule aux pieds et que la terre prodigue à sa vue.
Qui est qui, aimant un peu l’agriculture, ne veut pas connaître les productions particulières au climat des lieux qu’il traverse, et la manière de les cultiver ? Qui est ce qui, ayant un peu de goût pour l’histoire naturelle, peut se résoudre à passer un terrain sans l’examiner, un rocher sans l’écorner, des montagnes sans herborises, des cailloux sans chercher des fossiles ?
Vos philosophes de ruelles étudient l’histoire naturelle dans des cabinets ; ils ont des colifichets ; ils savent des noms, et n’ont aucune idée da la nature.
Combien de plaisirs différents on rassemble par cette agréable manière de voyager ! Sans compter la santé qui s’affermit, l’humeur qui s’égaye. J’ai toujours vu ceux qui voyageaient dans de bonnes voitures bien douces, rêveurs, tristes, grondants ou souffrants.
Et les piétons toujours gais, légers, et contents de tout. Combien le cœur rit quand on approche du gîte !
Combien un repas grossiers paraît savoureux ! avec quel plaisir on se repose à table ! Quel bon sommeil on fait dans un mauvais lit ! Quand on ne veut qu’arriver, on peut courir en chaise de poste, mais quand on veut voyager, il faut aller à pied.

J. J. Rousseau

Extrait de Rêveries d’un
promeneur solitaires


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